Liés par une convention de partenariat renouvelée en 2023, le musée Goya de Castres et la Casa de Velázquez de Madrid initient une nouvelle série d’expositions, pensées comme des invitations faites à un ou plusieurs artistes de l’Académie de France à Madrid, à s’inscrire dans une démarche de dialogue avec les œuvres de la collection du musée Goya.
En 2023, trois artistes avaient répondu à la première invitation : Najah Albukaï, Eve Malherbe et Arnaud Rochard. Trois artistes aux démarches et aux sensibilités différentes réunis autour des plus grands maîtres de l’art hispanique, ceux du Siècle d’Or, Murillo, Greco, Ribera, et aussi Goya, dont les gravures sont encore aujourd’hui une source d’inspiration pour les artistes.
En 2025, ce sont deux artistes, Francis Harburger (1905-1988) et Bilal Hamdad (1987), tous deux anciens résidents de la Casa de Velázquez, séparés par un siècle d’histoire, mais réunis par l’influence des grands maîtres espagnols dans leurs peintures respectives.
Le propos de l’exposition
Réunis par la même volonté de faire vivre la culture hispanique en France, le musée Goya de Castres et la Casa de Velázquez – Académie de France à Madrid, s’associent pour inviter des artistes à dialoguer avec les collections castraises. La Biennale Écho(s) #2, fruit de ce partenariat, permet tous les deux ans de montrer les productions réalisées lors de cette résidence à l’étranger.
Après la première édition en 2023, la deuxième saison réunit à l’automne 2025 deux artistes séparés par presque un siècle d’histoire, mais unis par leur séjour à la Casa.
Le premier, Francis Harburger (1905, Oran -1998, Paris), appartient à la toute première promotion de cinq artistes réunis à Madrid en novembre 1928. L’Académie des Beaux-Arts de Paris vient alors de créer à Madrid la Casa de Velázquez, nouvelle résidence d’artistes dirigée par l’archéologue et hispaniste français Pierre Paris (de 1928 à 1931).
Déjà diplômé des Arts Décoratifs et des Beaux-Arts de Paris, Francis Harburger a 23 ans quand il rejoint Madrid. En tant que pensionnaire, il participe à l’inauguration de l’établissement le 20 novembre 1928 en présence du roi d’Espagne Alphonse XIII.
Il séjourne à Madrid pendant une année scolaire et visite Tolède, Grenade et Séville, fait une échappée au Portugal et séjourne à Alcañiz en Aragon. En 1930, de retour à Paris, la galerie 23 lui organise une première exposition réunissant sous le titre « Espagne » quinze peintures réalisées lors de son séjour à la Casa de Velázquez.
L’exposition au musée Goya s’attache à rassembler des œuvres qui montrent comment ses années espagnoles ont été fondatrices dans sa recherche plastique et ses sources d’inspiration. L’occasion également de présenter au public le tableau Les Lavandières (1928- 29), à l’histoire à la fois tragique et extraordinaire. Réalisé lors de son séjour à Madrid, ce tableau a été spolié avec de nombreux autres tableaux, pendant la Seconde guerre mondiale
alors qu’il se trouvait dans son atelier. Retrouvé par hasard au marché aux puces de Vanves en 1948, Francis Harburger décide d’en faire don au musée Goya en 1992. Restauré en 2023, ce tableau est montré pour la première fois au public et constitue le point de départ de ce projet d’exposition.
Le second artiste invité est Bilal Hamdad, peintre résident à Madrid en 2023-2024. Bilal Hamdad (1987, Sidi Bel Abbès) est un peintre franco-algérien qui vit et travaille à Paris. Après avoir obtenu son diplôme à l’École des Beaux-Arts de Sidi Bel Abbès en 2010, il poursuit sa formation à l’École des Beaux-Arts de Bourges, puis à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, d’où il sort diplômé en 2018. En 2012, il présente sa première exposition individuelle à la galerie de la Maison de la culture Kateb Yacine à Sidi Bel Abbès, sa ville natale
en Algérie. Il reçoit également plusieurs prix, dont récemment le Prix de la fondation François Schneider en juin 2023. En 2018, il a reçu le Prix Khalil de Chazournes de la Société des amis des Beaux-Arts.
L’essentiel de son œuvre se concentre sur la capture de situations quotidiennes authentiques.
Ses grandes peintures à l’huile, élaborées à partir de photographies, sont des interprétations contemporaines de scènes urbaines. En opposant anonymat et intimité, son œuvre met en scène par un poignant réalisme, une expérience métropolitaine universelle. Celle-ci s’allie à un regard engagé, un travail sur la lumière, ainsi qu’à des inspirations variées, allant de Hopper à Rubens, en passant par Velázquez, Courbet et les impressionnistes. De cette manière, il explore divers faits de société dans leur complexité, de la solitude au métissage culturel.
Sa résidence d’un an à la Casa de Velázquez a déplacé son horizon dans une autre capitale européenne. Un autre regard sur cette quotidienneté qui l’inspire, celle de la ville et de son tumulte, mais aussi sur ses origines, cherchant à interroger l’histoire commune de l’Espagne et du monde arabe. Quel impact ce métissage a-t-il-eu ? Qu’en reste-t-il aujourd’hui ?
Travaillant à l’huile des effets de clairs obscurs, des draperies opulentes et des figures fantomatiques, il s’inspire des maîtres espagnols et de l’art photographique, donnant vie à un genre nouveau, questionnant à la fois l’ambiguïté de notre époque et la pertinence de la peinture aujourd’hui
Si Francis Harburger, résident en 1928, et Bilal Hamdad, résident en 2024, sont séparés par un siècle d’histoire, il n’en demeure pas moins que leur travail reflète et témoigne de cette culture hispanique qu’ils découvrent à Madrid.
Le premier est marqué par une Espagne minérale et dense. Dans ses paysages castillans, épurés jusqu’à l’essentiel, affleure une gravité silencieuse. Francis Harburger peint une terre étrangère, observée à distance, avec une rigueur issue de la tradition figurative française. Il capte la fixité des villages, la tension des lignes, la force tellurique du sol.
Bilal Hamdad aborde Madrid depuis une autre latitude. Nourri lui aussi des maîtres anciens, il peint une Espagne vécue, traversée, intérieure. Sa peinture explore la mémoire, le corps, l’identité mouvante. La figure humaine y est centrale, vibrante, fragmentée. L’espace n’est plus un simple décor : il devient le miroir d’une expérience. L’Espagne qu’il donne à voir est subjective, contemporaine, poreuse au monde.
Entre Harburger et Hamdad, c’est tout un siècle de transformation du regard qui se dessine.
L’un cherchait un motif, l’autre interroge une présence. Ensemble, ils incarnent la richesse de ce que permet la Casa de Velázquez : un lieu de passages, où l’art se donne le temps de s’approfondir et d’entrer en résonance avec le monde